La presque mort de Vermeil

Le vent glacial qui effleurait les arbres, traversant la Woiale dans une danse invisible, transportait avec lui une odeur étrange et légèrement désagréable. C'était comme un fruit sur le point de pourrir, un bois humide qui se décompose. C'était comme la forêt damnée des Aldenyars. Les nez fins pouvaient sentir cette effluve d'Ilidelwis même et on se questionna bien vite sur l'origine de cette odeur macabre. Après tout, l'odorat était généralement moins efficace en hiver, à cause du froid.

Était-ce l'abysse, la saison morte, qui arrivait aussi tôt dans l'année..?
Était-ce l'arrivée d'un autre soucis pour la communauté fraternelle qui avait déjà tant sur ses épaules?



Mais, en vérité, la cause était tout autre. C'était le corps mordu par le froid du jeune daelwena qui frôlait la mort aux abords de la forêt. Toujours inconscient, son corps tout autant que son âme livraient combat pour survivre.
Rester ici. Encore un peu. Juste un peu plus.

À chaque heure, son cas se dégradait. Il était évident qu'il ne tiendrait pas longtemps mais en son for intérieur, Vaelmir avait encore une lueur d'espoir.

Nelthys retira sa lame ensanglantée du dernier Troll qu'il venait d'abattre. Un long soupir résonna dans son haume. Il se sentait las, épuisé. Sa bouche s'asséchait trop rapidement pour le fil des combats qu'il menait. Après avoir soigneusement rengainé son acier à son fourreau dorsal, il retira son haume, laissant sa longue chevelure humide de soeur retomber sur les épaulettes de sa cuirasse et jusqu'au bas de son dos. Il plaça sa protection frontale sous son bras, comme il en avait l'habitude et prit une grande bouffée d'air frais, caverneux, mais néanmoins plus respirable que l'oxygène de son casque.

Il poursuivit sa route jusqu'au dehors de la grotte des Trolls, puis il inspira un nouvel air plus frais, laissant la brise hivernale caresser son visage où transparaissait sa fatigue. Il marcha jusqu'à la forêt éternelle de Woialë. Ses lourdes jambières laissaient à chaque fois une ample trace sur la neige. En temps normal, il se serait affairé à masquer ses pas, mais il n'en avait pas le coeur en ce jour. La fatigue le tenait entre ses griffes. Le guerrier vint s'adosser à un arbre. La poigne de sa lourde épée au fourreau dépassait de son épaule gauche. De sa main gantelée, il retira sa gourde de son ceinturon pour en prendre une gorgée assoiffée. Alors qu'il portait le contenant à ses lèvres, ses sens tombèrent en alerte. Ses longues oreilles froides et pointues remuèrent lentement. Nelthys percevait une présence qu'il n'avait côtoyée depuis longtemps... trop longtemps.

"Vaelmir?" songea-t-il. Le bretteur se redressa, temporairement saisi d'une énergie nouvelle. Ses yeux mauvâtres scintillants parcoururent rapidement les lieux. Il débuta un minutieux arpentage des environs, d'une marche rapide qui se changea aussitôt en une course contre le temps.

Sa perception affutée par les siècles et l'expérience le conduit jusqu'à la masse sombre gisant au sol. L'inquiétude s'empara de Nelthys qui, pourtant, était d'un naturel calme. Il s'agenouilla aussitôt aux côté de Vaelmir partiellement enseveli et s'efforça de dégager aussitôt le tapis blanc de neige qui recouvrait son semblable. La bouche asséchée de Nelthys demeurait ouverte, manifestant son inquiétude. Il retira en vitesse ses gants pour soulever la tête de Vaelmir. Posant un regard craintif sur ce dernier.

"Owel!" dit Nelthys d'une forte voix ténor, plus grave que l'habituel. "Par Aeltisis! Owel répond-moi!" Répéta-t-il sur le même ton d'inquiétude

au même moment, un loup, museau en l'air, apparue et ouvrit grand les yeux en appercevant Vaelmir.

Il s'approcha de la scène et tâta le coup de Vaelmir de sa truffe froide et humide.

Vaelmir avait été transporté jusqu'à une chambre de l'auberge, au second étage. À son réveil, une certaine confusion troublait son regard et sa voix ne sortait que très péniblement de sa gorge, comme une plainte rauque. Le jeune daelwena avait eu de la difficulté à se convaincre qu'il était encore vivant. Mais en voyant les visages de Nelthys, de Mila, d'une jolie awel inconnue et d'un loup étrange mais affectueux, il fut rassuré et fut envahit d'un intense sentiment de sérénité, de confort et de sécurité.

Il avait rapidement resombré dans les vapes du sommeil. Alors qu'il était au seuil des rêves, la jeune awel s'était couchée à son côté, tout en gardant évidemment bonne distance entre elle et lui. Sa présence agissait comme un baume incroyable pour Vaelmir. Ce dernier laissa échappé un murmure, un râle que tous comprirent rapidement.

"Ghh.. Édh... elle... "

Pour Vaelmir, tout lui avait semblé comme un rêve, intangible et irréel. Était-il véritablement revenu à Ilidelwis? Mila avait elle vraiment eu un enfant? Qui était donc ce loup mystérieux mais aussi bienveillant? Qui était cette belle awel au regard si doux?

Ses souvenirs avaient aussi la consistance des rêves. C'était peut-être la confusion qui seconde l'agonie et l'inconscience mais sa mémoire avait perdu en exactitude. Depuis combien de temps était-il parti? Ermahir et Mila attendaient-ils un enfant lorsqu'il avait quitté pour la dernière fois Ilidelwis? Était-ce dans ses cauchemards qu'il s'était éloigné d'Édèle ou était-ce bien arrivé?

Tant de questions troublaient son esprit.
Il faudrait bientôt éclaircir tout cela...